7 Bagarres Kintoa, 1789

Publié le par louis

Bagarres en Pays Quint

 

vers 1789

 

Ce texte a pour auteur Louis Sagardoy (1898-1992), il a été recueilli par son ami Pierre Duny-Pétré en 1967 et figure dans les archives de ce dernier

sous la forme d’un manuscrit (écriture de Jeanne Duny-Pétré).

 

 

Noms propres : Esnazu,  Aldudes, Baigorry, Elizabeheria, Harispe.

 

Résumé : incidents militaires entre les vallées de Baigorri et du Baztan, émergence des Chasseurs basques et du futur maréchal Harispe.

 

Louis Sagardoy né en 1898 à Cibits raconte ici ce qu’il a entendu rapporté par son père «plus de dix fois».

 

E

N ces endroits où l’imprécision de la frontière faisait l’affaire de tout le monde, des troupeaux appartenant aux Basques de France et aux Basques d’Espagne paccageaient fraternellement. Ils étaient de la même race dite «manex» et se mélangeaient facilement, d’autant plus facilement qu’ils y étaient parfois aidés par des bergers se satisfaisant de ramener chez eux plus qu’il n’en avaient amenés. Le redressement de ces mélanges occasionnait souvent disputes, échanges de coups, rancunes, représailles. Il est arrivé même que la colère ait allumé des feux incendiant des meules de fougère, de paille, de foin, du voisinage des habitations. Et cependant, religieux et prêtres faisaient de leur mieux de part et d’autre de la frontière idéale, pour apaiser les esprits.

Or, il advint qu’à un moment où les esprits étaient particulièrement échauffés, une borde fut totalement anéantie par le feu de l’autre côté d’Esnazu. C’était grave. On accusa naturellement les Basques de France qui jurèrent qu’ils n’étaient pour rien dans cette affaire. C’était en janvier 1792. L’irritation était grande du côté espagnol. L’alcalde de Roncevaux prit la tête d’une expédition punitive et, avec une forte troupe armée, envahit la vallée des Aldudes, y razzia 300 moutons et prit en otage trois hommes des Aldudes.

Maintenant, c’est le côté français qui est irrité et bien au-delà de la vallée des Aldudes et de Baigorry et là on parle d’une vengeance sanglante. Or, en ce temps-là, il y avait à Baigorry, un garçon de 25 ans nommé Ixidro, aîné d’une famille de huit enfants dont cinq garçons. Il était le fils d’un marchand drapier de la maison Elizabeheria. Son père lui reconnaissant des dons de «hartze ona» le fit «eskoler» par un prêtre du lieu qui lui enseigna le français, l’espagnol et les autres savoirs qu’il possédait, hormis le latin. Grand garçon musclé, costaud et vaillant pour les bagarres ainsi qu’il l’avait montré, ayant de l’autorité sur sa génération, il prend l’initiative de la riposte et on le suit. Une bonne centaine de jeunes gens se rallient à lui. Beaucoup apportent même des armes. On se procure des fusils à Orthez, on y fond même des canons à côté des marmites en fonte.

En une nuit de mars, la troupe massée aux Aldudes se met en marche vers l’Espagne par petits groupes. Les otages libérés dans l’intervalle, auraient indiqué le lieu de parcage des moutons volés. Il était convenu qu’on s’y regrouperait à l’angélus du matin qui parviendrait des clochers lointains. Et c’est alors que nombre de meules de fougères s’enflammèrent presque d’un coup. Des salves répétées de coups de fusil pour paniquer les Espagnols et leur faire croire que la troupe venue de France était très nombreuse, plongea les gens dans l’effroi total.

Le troupeau avait été légèrement déplacé, mais les chiens amenés des Aldudes n’avaient pas tardé à le rejoindre et on reprit le chemin de la frontière. On laissa en arrière-garde les hommes munis de fusils pour le cas de poursuite par les Espagnols et continuant à tirer en l’air. Les chiens faisaient merveille. Les Espagnols occupés à protéger du feu leurs habitations, avaient autre chose à faire qu’à poursuivre les Français. Et dans l’après-midi, on débouchait aux Aldudes.

Les Basques n’ont pas l’habitude de crier victoire, même quand ils gagnent. Regardez nos joueurs de pelote à la fin d’une partie. Perdants et gagnants se retirent dans un silence digne et aucune manifestation ostentatoire ne les distingue les uns des autres. Et il en fut ainsi après cette affaire. Contentement silencieux, cependant on a dû boire un bon coup.

L’Assemblée constituante de la Révolution française avait remplacé les provinces de France par des départements. Le nôtre s’appelait «Pyrénées-Basses» et on avait reçu le chiffre 64 dans le répertoire alphabétique des 90 départements français de l’époque. On ne savait pas choisir pour le chef-lieu. Oloron était candidat : refusé. Lescar, précédemment appelé Béarnene et qui avait été évêché, candidat aussi : refusé. Pau, un gros village mais détenteur du château d’Henri IV, fut choisi. Paris avait bien recommandé que le chef-lieu fut aussi central que possible par rapport au département. C’est Navarrenx qui détenait cette particularité et il faillit être chef-leu.

C’est  donc aux autorités départementales de Pau que les Basques de la frontière s’adressèrent pour demander à Paris une armée de défense de Pyrénées-Basses, car la bagarre n’était pas éteinte et vers les Aldudes et au-delà, ce n’était pas tranquille. Nous voulions une armée de défense de 20.000 hommes. Nous l’eûmes deux ans plus tard et ce fut la première invasion de l’Espagne. Dans les 25 ans qui suivirent, nous fîmes deux autres invasions. Mais entre temps de recevoir les 20.000 hommes demandés et qui vinrent donc sous l’appellation Armée des Alpes et des Pyrénées, nous avions constitué les bataillons des Chasseurs basques. Ils ont leur histoire.

Nous revenons à l’épisode de l’affaire «Aldudes-Esnazu» et rappellerons que Ixidro devint le maréchal comte Jean-Isidore Harispe et que parmi ses camarades de la première heure, il y avait ses frères tous braves, (le plus jeune était trop jeune, mais il avait grandi aussi pendant les guerres) et d’autres camarades aussi, comme Laxague, Harismendi, Oçafrain dont les noms nous sont parvenus plus spécialement.

Louis Sagardoy est un descendant de Laxague, c’était son arrière grand-père.

 

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